Alain Escalle - Créateur d'images, réalisateur

Comment vous définissez-vous professionnellement?
Question de plus en plus difficile... J'ai commencé professionnellement à faire des petits films personnels et ce dès que j'ai pu travailler. Et, parallèlement, je fabriquais des effets visuels pour des films ou des publicités. C'était il y a vingt ans déjà. Depuis la réalisation du "Conte du monde flottant" j'ai voulu explorer plusieurs domaines pour m'enrichir de nouvelles rencontres et de nouveau médias. Ce qui m'a amené à approfondir la publicité en tant que réalisateur, ou des collaborations pour le spectacle vivant. Aujourd’hui, je reviens à mon travail personnel au travers d'un nouveau moyen métrage. J'envisage ensuite de laisser la porte ouverte aux propositions et à mes envies. Je ne me sens pas dans un système en particulier et j'aime passer d'une forme d'expression à une autre. Films, spectacle, pub, installation artistique. Donc je ne me sens pas d'étiquette et ne me sens pas à l'aise dans des tiroirs prédéfinis. La vie est trop sensible pour cela... L'actualité montre que tout est fragile. J'aimerais pouvoir prendre l'image du roseau. La seule chose que je sais c'est que j'aime apprendre.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
Je suis sur un long projet, qui a débuté il y a plus de trois ans avec un travail de recherche important. Puis depuis 2009, je travaille sur les images et surtout le montage qui est très important pour ce projet intitulé "Le livre des morts". Je m'attache beaucoup à la structure du film. Je ne m'attendais pas à ce que le temps de montage soit aussi long pour un moyen métrage. Cela confronte déjà aux narrations de films plus longs. Mon équipe et moi même travaillons en parallèle sur les images de synthèses 3D et 2D. Nous espérons finir le film pour l'année 2012 pour une version de 30 minutes. Il existera peut-être une version plus longue. Je suis aussi sur l'idée d'une adaptation scénique contemporaine du "Conte du monde flottant" que m'a proposé Olivier Ferracci un scénographe avec qui j'ai travaillé il y a deux ans pour un projet de spectacle dans le monde Arabe. Mais, ceci est encore au stade de concept et d'écriture.

Quelle est la partie la plus délicate dans vos réalisations? Quelles en sont les grandes étapes?
Chaque projet apporte son cahier des charges et ses propres problématiques. C'est toujours différent, surtout si l'on ne veut pas se répéter. Mais comme évoqué plus haut le travail de montage est primordial. Il donne la dynamique de travail, la structure du film, et le fil conducteur à l'équipe de fabrication.
Quel est votre outil indispensable dans votre travail?
Je vais répondre un peu à côté sur ce sujet, car c'est le plus important pour moi: Garder le moral!!!!Et fuir le doute, ce qui est le plus dur. Calmer les angoisses de l'inconnu, la peur de l'échec. C’est le plus important sur les trajets de longues haleines. Transformer ce trac en force créatrice. Attraper les hasards heureux!
Souhaitez-vous aller plus loin dans la réalisation, ex: long métrage?
Je réalise depuis l'âge de 23 ans alors vingt ans après, je ne me vois pas faire autre chose de ma vie !!!! Sinon, le métrage ou le support m'importe peu. Le long métrage n'est pas une fin en soit, même si j'ai deux ou trois sujets en attente. Pour aller plus loin dans des projets plus longs, je veux tout d'abord rencontrer les bonnes personnes pour écrire. Je ne me sens pas l'âme d'un scénariste, même si j'ai un regard de réalisateur. Je n'ai pas cette qualité là. Le cinéma c'est avant tout une équipe, un producteur, un monteur, des comédiens, un scénariste et le réalisateur. C'est une question de temps donné et de moments idéaux. Le travail sur des projets courts vous laisse la certitude de leur réalisation par tel ou tel autre moyen.Sinon, j'ai besoin de créer c'est tout. C'est vital. Donnez-moi du papier et je dessinerais, un appareil photo, une tablette graphique, un ordinateur, ou une caméra, j'ai besoin de cela pour garder mon équilibre.

Qu'est ce qui vous inspire le plus ? Ou puisez vous toutes vos références ?
Tout d'abord cela dépend du thème, et s'il s'agit d'une commande ou d'un travail personnel. Les références pour un travail personnel proviennent d'une thématique choisie. Celle-ci est abordée par intuition ou par envie, quelque chose se met en place d'une manière logique ou simplement parce qu'elle s'impose sans trop savoir pourquoi. Ensuite, comme tout artiste, les références proviennent de ce que j'apprécie dans l'art présent ou passé. Chaque créateur avance avec en bagage tout un tas d'images, des sons, des maitres qui vous aident à trouver votre voie.Pour une collaboration ou un travail de commande, cela est en général plus facile, vous êtes moins seul. Vous rencontrez l'artiste, l'auteur, toute une équipe et les éléments du puzzle viennent tout naturellement. La seule chose que je m'impose étant de ne pas me répéter. Le jour où je sens que je tourne en rond je change d'univers.

Vous dévoilez un tout nouveau site internet, quelles en seront les nouveautés?
Avec l'arrivée prochaine du nouveau film (si tout va bien!), je voulais revisiter mon site web. Le rendre plus intemporel. J'avais géré les deux premières versions par moi même, et cela avait fait son temps. Pour cela j'ai demandé à la société LaJungle Design de concevoir un nouvel environnement qui permette de durer dans le temps tout en respectant l'entité des précédents sites. Donc c'est un site sans gadget inutile, juste un lieu où présenter d'une façon simple et complète mon travail d'une façon la plus agréable possible. Vous y trouverez, les films, des images, des croquis, des making of, des showreels, etc... Avec les mises à jours suivant l'actualité des nouvelles productions bien sur. Avec comme nouveauté prochaine l'ouverture d'une boutique en ligne. Mais pour cela c'est encore en conception et mon film m'occupe beaucoup, donc ce sera pour plus tard.

Avec quel artiste aimeriez-vous travailler ?
Aucune idée préconçue, je n'aime pas cela... J'aime les rencontres inattendues aussi. Mais si j'avais des envies, ce serait de rencontrer toutes sortes de créateurs français ou étrangers, théatre, opéra, mode.... Mais pour l'instant je dois surtout continuer mon travail personnel.

Seriez vous d'accord de faire un mini court métrage pour la Web TV du MFFCF? (rires...)
(rires et pirouettes) pas le temps...

Vous êtes vous inspiré du clip de Laibach comme il l'a été dit ?
Euh, non, ... Je l'ai découvert avec vous, comme j'ai pu découvrir toutes les références interstellaires du clip "C'est dans l'air" (Gros rires!). Les danses macabres existent depuis des millénaires. Et le métal n'a pas attendu Laibach pour faire exactement la même chose. Dans ce cas vous pouvez dire aussi que je me suis inspiré d'Hiroshima pour les explosions nucléaires. Lorsque l'on cherche trop on fini toujours par trouver quelque chose à justifier. C'est de là même que naissent les rumeurs. L'origine obscure une fois affirmée et sans cesse répétée devient évidente. Mais c'est un leure. En fait ma seule référence est le travail de l'artiste expérimental Stan Brakhage.

Que signifient les signes dans le clip C'est dans l'air ? (croix, carré, etc..)
Ils ne veulent rien dire... Juste une succession rythmique de formes simplistes. Il n'y a pas d'autres explications désirées. Après, n'importe qui peu trouver de l'intéret à y chercher un sens. Mais cela ne me concerne pas. Pour revenir aux squelettes du clip. Ils provienent simplement de cette envie qu'avait Mylène d'utiliser du Motion capture depuis plusieurs années. Et comme j'avais fais un crâne qui parle pour les images du concert, l'idée du squelette est apparue évidente. il ne faut pas chercher plus loin des choses qui entrent dans une procédure de travail. Un processus logique d'idées qui s'assemblent comme un puzzle. Le travail des artistes et créateurs est souvent douloureux pour aboutir à quelque chose de très simple et sobre. Et le but n'est pas toujours plus prétentieux que cela. Et puis il faut avoir conscience que nous avons fait ce clip, en même temps que les images de la tournée. Le rythme fût vertigineux !!!

Avez-vous eu des directives ou carte blanche pour la réalisation du clip C'est dans l'air? Pour les images de scène (deux tournées) ?
Le travail du clip découle de celui de la tournée. Je commence tout projet de commande par une sorte de cahier de tendances que je soumets, ici en l'occurrence à Mylène et pour le spectacle à Mylène et Laurent. C'est pour l'instant un travail de confiance mutuelle je crois. Au cours d'une première réunion je rencontre Laurent et Mylène qui m'apportent toute la nourriture nécessaire à mes recherches. C'est à dire, que je leur demande la thématique générale du spectacle, une idée du décor, des costumes et une tracklist qui sert de structure narrative. Ces éléments sont bien sur gardés secrets jusqu'à la présentation publique du spectacle car la surprise doit être complète jusqu'au bout. Pour cela je travaille en très petite équipe. Il faut se rappeler que nous sommes entre un an et six mois avant les premières dates du spectacle. Après cette première réunion je prends un temps de réflexion pour laisser venir les idées. Puis je reviens avec mon cahier et des idées d'ambiances sur les titres qui m'inspirent particulièrement. Je laisse d'autres titres de côté si je les ai déjà illustrés lors d'un précédant concert comme en 2006 à Bercy. Ensuite je le soumets à Laurent et Mylène puis certaines choses vont trouver place, d'autres seront évincées car trop simples ou trop redondantes ou tout simplement parce que Mylène et Laurent ont déjà une idée bien précise de ce qu'il auront à tel où tel moment. Ils ont une très très bonne conscience du spectacle qui se crée, de son rythme. Ensuite les choses peuvent changer en cours de route suivant le travail, le hasard ou les changements de tracklisting. La suite sera une suite de rendez-vous ou je présente le travail en cours pour s'assurer que l'on avance bien sur la même longueur d'onde. Après parfois, il y a des surprises, par exemple Mylène et Laurent n'ont découvert les images de "Point de suture" qu'après finalisation... Donc il n'y a pas trop de règles... L'important pour moi, sur un travail de commande et d'avoir un respect mutuel et de rester à l'écoute. Mon premier travail est de demander le cahier des charges. Après l'on a toute liberté de réflechir sereinement. Mon rôle est de proposer, de conseiller sur ce qui me semble le plus juste lorsque j'ai des convictions. Mais certaines de mes idées peuvent aussi être à côté de la plaque car je laisse venir tout ce qui vient. Je préfère élaguer ensuite. Je n'ai pas trop d'égo là dessus.

Les inspirations ? le lieu de tournage ?
Ici, nous avons mis beaucoup de temps à décider de la forme du film. Presque deux ou trois semaines, si je me souviens bien. Et après plusieurs conversations avec Mylène nous avons décidé de choisir celle-ci. Mylène voulait surtout éviter qu'il y ait un message à double lecture. Et le sujet du Moyen Orient ne se traite pas avec légèreté surtout lorsque les chansons voyagent. Il y a d'ailleurs eu deux montages différents. Le premier était trop dur justement trop tendancieux. Nous avons évoqué aussi l'idée d'images d'archives de la Princesse Leila Pahlavi à la manière de l'émission "Un jour un destin", mais l'idée me semblait peut réalisable dans le temps imparti. Et nous nous sommes attachés à l'idée d'une femme orientale plus universelle une image d'épinal de l'Orient. Il n'était bien sur pas possible de tourner en Iran et toute les images disponibles ne me plaisaient pas. Sinon, le tournage à duré une journée sur une esplanade à Paris et j'ai travaillé le montage ainsi que le traitement des images pendant dix jours au Studio AE. Il y a eu un tout petit peu de travail sonore pour rajouter quelques effets à très peu d'endroits.

Pourquoi avoir crée un clip seulement destiné pour le web ?
C'était tout simplement dans le cahier des charges.

Avez-vous eu des directives ou carte blanche pour la réalisation du clip ?
Au départ la seule chose imposée fût que Mylène n'apparaitraisse pas, et cela semble somme toute assez évident pour une chanson hommage. Par contre j'ai proposé à Mylène les images de cette femme au regard plein de douceur qui reste entrevue... Comme silencieuse.Puis il y a l'idée du dépassement, de l'envol, du ciel... l'envie d'un résultat sobre, humain et épuré. Autres: La forme finale du clip, vient de cet équilibre recherché entre la pureté de la lumière, l'hypnose d'un voyage, l'attente d'un ailleurs. De nouveaux horizons. Le mariage des éléments eau, ciel, terre, vent...

Quels ont été les retours suite a la diffusion en première partie du concert Avant que l'ombre..à bercy du court métrage "le conte du monde flotant" ?
(Rires) ceux de la salle !!!!!Cela m'a amusé et terrifié en même temps c'etait étrange... Et puis c'était la première fois que je participais a un concert. Le film avait vécu déjà une bonne vie de court métrage en festivals pendant six années de salles silencieuses et je ne m'attendais pas à une telle ambiance. C'était très drôle. Maintenant, et pour être plus sérieux cela m'a permis de le faire connaître par un public différent et peut-être plus large. Il est tout de même très rare qu'un film court soit vu par 200 000 personnes en si peu de temps. Même si cela plombait l'ambiance, j'étais content. (Rires) et il avait déjà eu une belle carrière. Le film existait depuis 2001 donc les huées m'ont plutôt fait rire.

Pouvez-vous nous présenter les deux danseurs su tableau Point De Suture ?
Il s'agit de deux amis Flavien Crebssegue pour l'homme et Hélène Pecqueur pour la femme. Hélène avait déjà travaillé sur les images de scène de Bercy. Pour "Dans les rues de Londres" et "California". Puis elle est de retour sur le clip de "Leila".Ils ne sont pas du tout danseur à la base, mais je travaille toujours comme cela. Enfin souvent. Il y a toujours des danseurs et des nons danseurs dans mes projets (cf: Le conte du monde flottant") la rencontre est intéressante. Donc nous avons travaillé sur des gestuelles. Je leur ai parlé du type de mouvements que je désirais. Qu'ils se tournent autour, qu'ils s'attirent, se repoussent sans cesse. Puis ils ont travaillé sur le morceau chacun de leur côté, puis nous avons répété pendant un après-midi pour nous caler. Ensuite il y a eu beaucoup de choses inventées dans la tension du tournage. Ils se sont beaucoup lâchés. Ils m'ont énormément étonné et leur osmose était parfaite. Puisque je parle de ce projet, je dois aussi citer les costumes crées par Kaku Kuo un ami créateur , artiste Taiwané qui a son Studio de création en France.
Concernant votre collaboration avec Mylène, quel serait "THE projet" à réaliser avec cette artiste?
Comme dis plus haut je n'en sais rien. Je ne calcule rien.Je ne me projette que sur mon travail personnel et c'est déjà beaucoup.

Combien de fois avez-vous vu le clip Libertine pour croire que Mylène jouait aux échecs ? (rires)
Eh bien, j'avais 19 ans je crois la première fois... En DVD après et combien de fois je ne sais pas. J'étais étudiant en arts et ce clip à marqué une date importante. Mais j'avais déjà remarqué "Plus grandir". En tout cas je n'aurais jamais illustré Libertine avec des cartes à jouer. Les echecs se sont imposés d'eux mêmes à la vue du décor et des costumes. les cases, les costumes N&B de Gaultier. Et puis jouer avec l'idée que la reine du jeu représente Mylène au milieu des danseur était une jolie idée.Ce qui est fou tout de même c'est que je me suis retrouvé par hasard dans le Stade de France lors du concert de Madonna et je n'ai même pas vu les écrans. Avec mes un 164 cm je n'ai apperçu que sa perruque blonde pendant 30 secondes... Je ne voyais même pas les écrans!!!! J'ai été plus que surpris de voir des images d'échecs sur une des chansons. Cela m'a beaucoup chagriné au départ en voyant le film mais au bout du compte cela n'a pas grand chose à voir sur scène. Se sont juste des jeux échecs (maintenant j'en voit partout!). Mais ce qui démontre bien que les hasards sont parfois troublants. Surtout dans notre époque mondialisé. Les idées et l'air du temps deviennent encore plus présents qu'avant. Je trouve d'ailleurs les écrans utilisés pour la dernière tournée de Madonna beaucoup moins recherchés que lors du précedent concert c'est dommage. Beaucoup trop de catalogue de stock-d'images pré-achetés. J'avais par contre adoré "Confession tour".

Merci beaucoup Alain, Merci pour tout !
Merci à vous

(Propos recueillis par David. C)